Lorsque vous entendez « santé physique », à quoi pensez-vous ? Et lorsqu’on vous dit « santé mentale » ? Vous savez certainement qui s’occupe de soigner le corps ou le psychisme. La santé mentale est au cœur des Jeux Olympiques de Pékin (comme elle le fût déjà à Tokyo) mais qu’en est-il de la « santé spirituelle » des athlètes ?
Savez-vous à quoi cette expression fait référence et qui prend soin de l’esprit ?
Alessandra Maigre et Sandrine Ray décrivent le rôle de l’aumônier en milieu sportif permettant d’accompagner les athlètes à tous les moments de leur carrière (et de l’après carrière) selon leurs besoins spirituels et humains.
Santé physique, santé mentale et santé spirituelle
L’être humain est composé de corps et d’esprit. Après des siècles de dualisme cartésien, ces deux parties sont aujourd’hui réconciliées dans une perspective holistique. À cela, nous aimerions ajouter une subtilité en nous appuyant sur la conception de l’être humain antique telle que nous la livrent les textes bibliques.
Dans cette vision, l’être humain est non seulement composé d’un corps et d’une âme (partie sensible liée aux émotions que l’on nomme aujourd’hui plutôt esprit), mais également justement d’un esprit (partie liée à l’élément « divin » en nous). L’être humain est donc une triade corps – âme – esprit. L’esprit étant l’élément vivifiant et donateur de vie. Au même titre que le corps et l’âme (le psychisme), l’esprit (le spirituel) nécessite qu’on en prenne soin.
Ceci nous permet de considérer une « santé spirituelle » aux côtés de la « santé mentale » et de la « santé physique ». Dans une perspective holistique, corps, âme et esprit sont liés par une dynamique fondamentalement relationnelle. Et c’est précisément la conscience de la relation à l’esprit (au souffle vital) qui marque la dimension spirituelle d’une personne. En un mot : lorsque j’ai le sentiment d’être vivant-e, c’est-à-dire d’être « en lien », cela relève de la santé spirituelle. Par conséquent, une personne est en bonne santé spirituelle lorsqu’elle est tournée non pas égoïstement vers elle-même (vers « son nombril ») mais plutôt lorsqu’elle est tournée vers elle-même et « cette vie profonde qui l’habite »[1].
Expression d’une attention à soi-même et au monde qui l’entoure à partir de l’expérience du lien avec la « source » donnée de toute vie, la santé spirituelle découle de la façon dont une personne habite ce qu’elle vit et qui elle est. Il faut imaginer cela comme un « décentrement » vers la source vivifiante qui permet par la suite un « recentrement » sur soi et sur sa place dans le monde.
Comme toute autre dimension de la vie, la dimension spirituelle ne manque pas d’apporter son lot de questionnements d’ordre existentiel et éthique. C’est pourquoi, des personnes veillent à celle-ci en proposant un accompagnement spirituel en milieu hospitalier, carcéral ou militaire par exemple. Ce sont les aumôniers qui offrent leur présence à toute personne qui en exprime le besoin. Ceux-ci accompagnent dans la (re)découverte et dans le soin de ce qui est vivant en chacun et chacune.
Plus difficile à cerner et moins dépendante des facteurs extérieurs que la santé physique ou la santé mentale, la santé spirituelle est une question d’intériorité qui requiert une façon simple d’aborder la vie face à la complexité des événements. Elle se joue dans le quotidien par l’orientation des « modes » de vie vers cette vie profonde qui habite tout un chacun. Nul besoin de se rendre dans un lieu spécifique, la vie profonde est là où nous sommes, au-dedans de nous-mêmes. Elle circule en chacun et chacune même si nous n’en avons pas conscience.
La force de la santé spirituelle est de pouvoir être saine, même lorsque les deux autres santés sont fragilisées. Cela est rendu possible par le développement d’attitudes intérieures comme le courage, l’honneur, le discernement, le détachement, la gratitude, l’humilité, etc. Ainsi par leur soutien, les aumôniers aident dans la mise au jour de ces attitudes d’humanité face à l’adversité.
Accompagnement des athlètes par des aumôniers spécialisés
Depuis l’édition des JO de Munich 1972, théâtre d’une sanglante prise d’otage d’athlètes israéliens, l’aumônerie fait partie des services proposés aux athlètes dans les villages olympiques.
Au-delà de la préparation physique et mentale, l’aspect spirituel n’est pas à négliger pour les athlètes de haut niveau qui font face à de nombreuses difficultés et pressions, mais également à toutes sortes de questions existentielles et éthiques dans la pratique de leur sport.
Des aumôniers internationaux et spécialisés dans le sport à haut niveau sont présents pour apporter une écoute et un accompagnement spirituel pour toutes sortes de difficultés majeures, telles que des décès, blessures graves, mais également pour tous besoins des athlètes, notamment des questions existentielles, sur le sens de leur vie, sur des questions éthiques et identitaires, sur les émotions vécues et des pratiques religieuses (mariages, baptêmes, temps de prière, cultes, etc…).
Sandrine Ray est une athlète olympique aux JO de Turin en 2006 et elle travaille actuellement en tant qu’aumônière chrétienne pour les sportifs avec l’organisation internationale Athletes in Action. Elle raconte quelques anecdotes vécues dans sa pratique :
“Lors de ma participation aux JO de Turin en tant qu’athlète, j’ai bénéficié de moments de prières avec des aumôniers internationaux. Ces temps de recueillement au milieu de cette si grande et importante compétition m’ont vraiment aidée. Cela m’a donné envie moi aussi de soutenir les athlètes dans leurs besoins de manière holistique et je vois aujourd’hui dans ma pratique d’aumônière auprès des sportifs combien ces besoins sont grands et combien les athlètes manquent de vis-à-vis pour découvrir leur humanité."
Les athlètes font appel à nos services pour différents besoins, qui parfois semblent insignifiants, comme par exemple cette jeune athlète de 16 ans, qui s’est approchée de moi, à la sortie d’un entraînement aux JO de Sotchi, pour me partager ses peurs. Sa discipline était alors un sport de démonstration et la hauteur des tremplins avait été agrandie, afin de rendre ce sport encore plus spectaculaire. Elle n’avait encore jamais concouru avec des sauts d’une telle hauteur. Impossible pour elle de confier ses craintes à ses proches, qui se réjouissaient tellement de la voir participer aux JO, ni même à son coach qu’elle ne voulait pas décevoir. Recueillir ses émotions, lui donner un espace pour être humaine au milieu d’une compétition si grande, voilà juste ce dont elle avait besoin à ce moment-là.
Difficile de se rendre compte de tout ce qu’il peut se passer durant une telle compétition. Aux JO de Vancouver en 2010, par exemple, les aumôniers ont été appelés pour accompagner les athlètes et leur entourage, alors qu’un lugeur a perdu la vie sur la piste lors d’un entraînement. Comment donner le meilleur de soi, lorsqu’un concurrent (ou ami) est décédé sur cette même piste le jour précédent ?
La mort ne s’arrête pas aux portes des compétitions sportives et j’ai également dû accompagner une officielle d’un pays nordique pour un deuil lors des paralympiques de Rio en 2016. Après avoir reçu un appel l’informant que sa maman était décédée, elle se sentait seule et perdue. Vers qui se tourner pour partager sa peine ? Devait-elle rester aux Jeux ou rentrer dans son pays pour les funérailles ? Alors que je l’ai accueillie au centre “Multifaith” du village olympique, cette dame m’a confié qu’elle n’avait parlé à personne de son équipe de ce qu’elle vivait. En effet, elle ne voulait pas déconcentrer les athlètes de son équipe, ni “gâcher la fête” pour eux. Cette dame a ainsi pu trouver un lieu pour partager sa douleur, une écoute et un réconfort dans la prière pour vivre son deuil au milieu de cette compétition internationale et à des milliers de km de chez elle.
Alors que les athlètes mettent toute leur énergie pour être fin prêts physiquement et psychiquement, des situations de la vie viennent parfois jouer les trouble-fête. Les coachs et l’entourage de ces athlètes se retrouvent souvent démunis face aux limites humaines et aux besoins de réconfort spirituel ou de questions existentielles de l’athlète.
Aujourd’hui, dans ce contexte de pandémie, le thème de la santé mentale des athlètes est devenu central. Répondre aux besoins spirituels des athlètes fait partie des éléments essentiels pour favoriser une bonne santé mentale et cette dimension devrait à mon sens être entièrement prise en compte dans cette thématique.”
Sandrine Ray, Aumônière en milieu sportif avec Athletes in Action.
Alessandra Maigre, théologienne et philosophe, doctorante en théologie (UNIFR)
Références :
Mariel Mazzocco, Éloge de la simplicité. Un chemin spirituel, Paris, Bayard, 2021.
Jean-Guilhem Xerri, La vie profonde. La santé spirituelle au quotidien, Paris, Cerf, 2021.
[1] Jean-Guilhem Xerri, La vie profonde. La santé spirituelle au quotidien, Paris, Cerf, 2021, p. 9.
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